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LA CONSTRUCTION DU NOMBRE Conférence de Rémi
BRISSIAUD, ancien professeur de mathématiques, actuellement
professeur de psychologie à l’IUFM de Versailles, à MIRAMAS, le
3/03/1999 (compte-rendu de V.Verdié)
1- Il existe deux chemins vers le nombre qui dépendent des outils culturels
qu’on met à la disposition des enfants. La question se pose: est-ce qu’on
insiste ou non sur le comptage oral? 2- Les raisons du choix de Brissiaud,
Clerc et Ouzoulias 3- Quels outils utiliser?
1- Les deux chemins
vers le nombre
-Le chemin “américain”: Aux Etats Unis, l’outil
utilisé est exclusivement le comptage oral (les mots-nombres). C’est la culture
du comptage. -Dans les pays asiatiques et chez les enfants sourds profonds de
naissance, le comptage oral apparaît tardivement, d’autres outils culturels sont
à leur disposition.
Description du cheminement d’un jeune
enfant -L’enfant apprend la comptine numérique vers trois, quatre ans: il
a appris par coeur la suite de mots, la suite verbale. -Mais cela ne suffit
pas pour savoir compter. Il n’y a pas correspondance terme à terme entre la
désignation d’objets et l’oralisation, pas de coordination entre désignation des
objets et récitation du mot-nombre. -Quand on demande à l’enfant combien il y
a d’objets, il récite à nouveau la suite numérique.
Comment comprendre
un tel phénomène? -Selon Roche Gelman (INRP), les enfants savent compter
de manière précoce, ils savent que, quand on compte, il y a “x” objets
correspondants, mais ils doivent alors mobiliser toutes leurs connaissances en
même temps; d’où l’énumération et l’incapacité à utiliser leurs connaissances de
façon coordonnée parce qu’ils sont submergés par la tâche.
-Un autre
point de vue est développé par Fuson: pour l’enfant, le comptage-numérotage,
c’est comme s’il distribuait des dossards; il les compte comme des numéros.
Le comptage oral crée un obstacle langagier à la dénomination du nombre.
Aujourd’hui, c’est cette hypothèse qui est retenue par la plupart des
chercheurs. Expérience de Fuson: 6 jetons sont alignés. Combien y a-t-il
d’objets? Où sont les 6 objets? Trois réponses sont possibles: le dernier
pointé, les (n-1) premiers, la totalité. 75% des enfants de 4 ans 1/2 pointent
le dernier jeton (les résultats sont aussi liés au niveau
socioculturel!).
Les américains peuvent dépasser cet obstacle langagier.
Certains enfants utilisent le comptage-numérotage de façon pertinente: Ils ne
sont pas encore capables de dénommer les nombres mais sont capables, si une
collection est plus grande que l’autre, de le dire avec le comptage-numérotage.
Tâches favorisant la dénomination du nombre -On peut mettre
l’enfant face à une tâche qui favorise la dénomination du nombre: on le met face
à une collection nombreuse (20) et on demande qu’il apporte 7 objets parmi ces
20, plutôt que de lui demander combien il y en a (ce qui n’est pas la même
tâche!). Les enfants essaient de donner du sens à ce que dit l’adulte pour
construire leurs connaissances: “donne-moi 7 crayons”, c’est la valeur
cardinale, c’est la quantité. L’enfant se dit “lui, il veut que je compte!”,
donc il compte mais c’est difficile de s’arrêter. L’adulte insiste “7
crayons”, l'accent est mis sur “7”. L’enfant s'arrête alors, il a créé une
collection et est valorisé. Il construit et accède ainsi à la valeur cardinale
du nombre.
-Les jeux avec dé: il y a configuration spatiale des points,
pas forcément du nombre. C’est l’ensemble qui est considéré d’où l’importance
des constellations en général.
-Dès que l’enfant entre dans le calcul (2
et 2 ça fait 4), chacun des mots désigne une quantité (référence à la TV où la
“2” et la “3” n’ont aucun rapport avec la “5”!)
Comment l’enfant
entre-t-il dans le calcul? “j’ai 4 jetons dans ma poche gauche, 3 dans la
droite. Combien y en aura-t-il si je les mets sur la table?” En GS, l’enfant dit
1,2,3,4 (il montre les doigts d’une main) puis 1,2,3 (idem avec l’autre main),
il recompte le tout avec ses doigts: c’est la collection témoin. Au CP, il
dessine sur l’ardoise et -recompte le tout (première procédure) -surcompte
(deuxième procédure) Certains enseignants enseignent le surcomptage: “tu mets
9 dans ta tête, 7 sur les doigts,...”
2- Quels
choix?
-A quel moment enseigne-t-on le comptage oral?
-Doit-on enseigner explicitement le surcomptage ou pas?
Brissiaud est
contre l’enseignement explicite du surcomptage, contre son apprentissage
surtout sur file numérique. mais pour créer des situations-problèmes qui
permettent aux enfants d’inventer le surcomptage (mais sans
qu’il y ait valorisation par le maître afin que chacun l’invente et non le
“copie” sans le découvrir lui-même, ce qui est souvent source
d’erreurs).
Stratégie de calcul numérique:
décomposition/recomposition Elle est plus tardive: ex. 6+7 = 6 et 6 (=12)
et 1 = 13 Le matériau verbal est répétitif et certains doubles sont mémorisés
de manière précoce. Mais l’usage de la stratégie de décomposition/recomposition
peut n’apparaître qu’au CE2, même si les doubles sont connus dès le CE1, car
l’enfant doit faire référence au répertoire additif mémorisé. La quasi
totalité du répertoire additif n’est mémorisée qu’en fin de CE2 voire début de
CM1.
Aujourd’hui, tous les chercheurs sont d’accord pour dire que les
jeunes enfants savent calculer avant de savoir compter (cf travaux de 1992 en
particulier aux Etats-Unis).
Le cheminement des asiatiques et des
sourds profonds de naissance Chez eux et comme va le montrer cette
expérience chez de jeunes enfants, le calcul précède le comptage. Expérience:
calcul sur les trois premiers nombres, mais sans calcul verbal Deux tapis
sont posés, l’un devant l’expérimentateur, l’autre devant l’enfant. “moi, je
mets des jetons (3). Toi, mets la même chose sur ton tapis”. (à 3 ans 1/2, c’est
réussi). L’expérimentateur cache les jetons et dit: “tu vois combien j’ai là, on
met une boîte dessus et on en enlève 2 de dessous” (on transforme la collection.
L’enfant a dû se construire un modèle mental de ce qu’il y a sous la boîte pour
opérer dessus et pouvoir répondre). L’opération est recommencée avec + ou - 1,
2, 3. Dès 3 ans 1/2, le taux de réussite est important. C’est une stratégie
de décomposition/recomposition, alors qu’ils ne savent pas compter jusqu’à 3.
C’est une épreuve de calcul non verbal.
L’expérience a également été
réalisée en verbal: “dis-moi le mot-nombre” au lieu de “montre-moi avec les
jetons”. La comparaison entre deux épreuves verbales et non verbales de
décomposition/ recomposition donne les résultats suivants: Dans un milieu
socioculturel favorisé, il n’y a pas de différence entre les deux tâches, alors
que dans un milieu socioculturel défavorisé les enfants n’arrivent pas à
exprimer sur le plan verbal toutes leurs compétences non verbales. Il y a mêmes
compétences sur le non verbal quelque soit le milieu. Les hypothèses sont les
suivantes: dans les milieux favorisés, les parents mettent en mots les nombres
dans des conditions variées et non uniquement sur le comptage verbal, alors que
dans les milieux défavorisés seul est valorisé le comptage verbal (donc le
comptage-numérotage). Un exemple de situation expérimentale: L’étude porte
sur des comportements verbaux mère-enfant. L’enfant est âgé de 22 mois. Il
s’agit pendant dix minutes de parler à son enfant, la conversation étant filmée
puis analysée. Voilà un des corpus enregistré: “Tu vois, il y a 4 caméras,
regarde une, puis une, puis une, puis une” (elle les montre du doigt à tour de
rôle). On constate ici une logique de calcul. Les pratiques langagières
variées vont permettent à l’enfant de surmonter plus facilement les obstacles du
comptage langagier. La thèse de Brissiaud sur les sourds profonds de
naissance montre que ceux-ci ne rencontrent pas l’obstacle langagier inhérent au
comptage. Les éducateurs leur apprennent à construire une collection de
doigts par correspondance terme à terme avec les objets (en silence!). Les deux
collections sont mises en correspondance en totalité. Mais autre obstacle
pour eux, l’enfermement dans l’image: “4” présente deux configurations: quand
ils comptent, ils abaissent l’auriculaire, alors que pour le code, en langage
des signes, ils abaissent le pouce.
Comment enseigner en PS
?
Trois gâteaux: “avant de les manger, dis-moi combien il y en a
?”
-L’enseignant “compteur”, comme aux E.U., dit: “tu vas manger 1, 2, 3
(il désigne 1, puis 2, puis 3), tu vas manger 3 gâteaux (avec geste qui renvoie
à l’ensemble).
-L’enseignant “calculateur” va dire: “est-ce que ce sont 2
gâteaux comme ça?” (en montrant 2 doigts). L’enseignant isole une quantité
analogique de doigts, 2 et 1, et pratique une décomposition/recomposition (3
décomposé comme la somme de ses parties). On est d’emblée dans une logique de
calcul.
Le problème chez les enfants sourds est que pour montrer 4
(sur une main, pouce baissé) + 3, il est bloqué par le code 4, qui l’empêche de
recomposer.
Pour un élève de CP, il montre sur les deux mains puis passe
de 2 + 1 en 3, d’où stratégie de décomposition/recomposition sur les doigts et
non sur les mots-nombres.
Attention de bien distinguer comptage sur les
doigts (non!) et calcul sur les doigts où il y a stratégie de
décomposition/recomposition.
Passage à la dizaine:
9 + 3:
l’enfant montre 9 et passe à la dizaine sur les doigts au 12 sans montrer en
décomposant/recomposant. Pour les coréens, pas de problème, car ils comptent
jusqu’à 10 en abaissant les doigts puis les remontent à partir de 11.
cf
“les chemins du nombre” PUL (Lille)
La stratégie de retour au “5” chez
les sourds 7 + 6 : ils mémorisent la configuration des doigts et le
répertoire additif dès le début du CP (chez les enfants américains, c’est
beaucoup plus tard!).
Quel cheminement privilégier ? Selon
Brissiaud, il faut privilégier le calcul avec
décomposition/recomposition. -Une simulation avec les adultes: Travail sur
une suite verbale inhabituelle, les lettres de l’alphabet dont tout le monde
connait la suite. Imaginer un gros tas de jetons à calculer avec les lettres. Il
y a “r” jetons. “h” est-il supérieur à 10 ? On compte alors sur ses doigts! (“h”
c’est 8, un tout petit nombre). Quand on ne dispose que d’une suite verbale
apprise par coeur, on ne sait pas si le nombre est grand ou petit. Il nous
manque des repères. On privilégie les “5”. “e” = 5. Si on interroge sur “f”,
on connaît tout de suite la réponse. On trouve “h” par surcomptage! D’où la
nécessité de favoriser le retour au 5. “r” + “c” =”r” + 3 , par surcomptage
on trouve le total “u” mais on ne sait pas si c’est grand ou petit. On obtient
un bon résultat mais pas une bonne représentation mentale des matériaux sur
lesquels on travaille. On risque de construire sur du sable! ce qui est le
piège. Plus tard on risque d’être face à de sérieux problèmes. Des enfants en
grande difficulté vers 13-14 ans sont prisonniers du comptage sur les doigts
mais n’ont pas mémorisé. Il faut les faire repasser par le calcul sur les
doigts.
Il est important de faire tous les jours du calcul mental. “les
compétences en calcul mental sont les pierres dont on fait l’édifice!”. Les
meilleurs en calcul mental sont aussi les meilleurs en résolution de problème.
-Autre argument en faveur de ce cheminement (expérience de Geary, Fan,
Bow-Thomas, 1992) Comparaison entre enfants de CP aux E.U. et en Chine, dans
des milieux socioculturels comparables, sur des additions de type 8 +5 ,9 +
4,...
Pourcentages de réussites E.U. Chine résultats
connus par coeur: récupération en mémoire à long terme 29% 86% usage de
stratégies de décompositions 7% 10% comptage verbal 28% 4% comptage sur
les doigts 36% 0%
Il y a récupération deux ans plus tard aux
E.U.
Tous les enfants surcomptent mais s’ils l’inventent, ils l’utilisent
très peu de temps. Si les résultats sont performants en Chine, c’est qu’il y
a repère explicite dans la façon de dire les nombres en chinois: pour 11,...,
ils disent ”dix-un, dix-deux,...puis pour 20,..., deux-dix-un,
deux-dix-deux,... En français, “dix-deux” = douze, le but de la procédure est
masqué. En décomposant/recomposant, on essaie de créer les conditions les plus
proches des enfants asiatiques. 3- Quels outils utiliser
?
En PS, la première urgence n’est pas le comptage oral.
Il faut privilégier le dialogue “combien je vais manger de gâteaux?” et
permettre une représentation analogique gâteaux/doigts. Il faut favoriser
l’usage de mots-nombres avec sa représentation analogique (collection de
doigts). Il faut favoriser les stratégies de
décompositions/recompositions ex. Pour l’appel, on “pointe” avec les
étiquettes des prénoms. On parle des absents et en même temps on montre les
doigts. On construit une collection de doigts par correspondance terme à terme
avec les enfants qu’on nomme. “Il y a comme ça d’absents” (en même temps on
montre 5 et encore 1) et on demande combien cela fait. On renvoie à des
quantités, à un sens cardinal. Apprendre le comptage oral ne devrait pas
avoir lieu en GS s’il n’y a pas analogie avec ce que cela représente, avec les
doigts (12, c’est 10 et 2-> colorier des doigts sur un dessin -plusieurs
mains représentées: coloriage de 5, 5, 2- et non compter sur les doigts! / C’est
combien 8?...fonctionne comme “c’est combien “h”). Introduire le comptage
oral est incontournable mais il faut aussi construire le repère “5”, favoriser
l’usage global “5” et “10”, et favoriser le calcul sur un petit domaine
numérique. Sur les livrets d’évaluation figure “sait compter jusqu’à...” mais
pas “sait calculer jusqu’à...”, ce qui serait à revoir et à privilégier. On
trouve partout des livres à compter mais peu à calculer: cf “album à calculer”
de Brissiaud, avec les dispositions en configurations, en constellations. On
amène l’enfant à voir “2” en “5” en faisant appel à la configuration et au cadre
imagé. On aide à anticiper et à vérifier. Faire des mathématiques, c’est
travailler sur des symboles pour anticiper une réalité auquel on n’a pas accès.
Il faut donc proposer des outils qui visent à privilégier ce qui risque de ne
pas être présent dans les familles.
En MS et GS, la file numérique permet
de retrouver l’écriture et la lecture des chiffres en comptant, avant que les
enfants sachent les lire et les écrire. Elle aide à l’appropriation de
l’écriture des nombres mais il faut en même temps en penser le sevrage. Au CP,
elle ne doit pas être en permanence devant les yeux des enfants car elle empêche
d’avancer.
Au CP, on enseigne explicitement le calcul, les stratégies de
décomposition/recomposition. La boîte de “Picbille” est un outil pour
construire ces repères privilégiés, qui a même structure que les doigts (deux
compartiments successifs de cinq jetons, que l’on ferme dès qu’ils sont
complets). Les caches permettent une représentation mentale des objets absents.
L’usage des constellations permet aussi une lecture immédiate et un
contrôle, comme avec la boîte de “Picbille”. Attention: -Ne pas exiger
trop tôt que les enfants ne dessinent plus: “je préfère que tu dessines de façon
organisée, plutôt que tu comptes”. L’organisation en constellations permet de
vérifier et aide à la décomposition/recomposition. -Enseigner des stratégies
complexes même pour les enfants en difficultés et attention au
comptage!
Il existe trois formes de représentations mentales: -la
représentation imagée analogique -la représentation liée à l’action (ex.
connaissance de comment on fait un noeud!) -la représentation verbale. Il
faut être capable de passer de l’une de ces représentations à l’autre. Avec
“Picbille”, il y a codage spatial (image sans le couvercle) du résultat d’une
action qui permet de passer de la séquentialité du comptage à la simultanéité de
sa dénomination, à l’unicité de cette dénomination.
Le passage de la
dizaine: il faut l’enseigner (avec “picbille”), sinon très peu la trouveront,
mais aussi la manipuler et la dessiner le temps nécessaire.
En résolution
de problème, surtout ne pas aller trop vite! Sur un problème du type “X
avait 16 billes. Il en a maintenant 23. Quel est son gain?” 50% d’échec en fin
de CE1 20% d’échec en fin de CM2 Très peu d’enfants sont capables de
mobiliser la soustraction pour ce genre de problème, qui demande de mettre à
disposition une stratégie de haut niveau.
compte-rendu de V. Verdié, CPC Marignane #
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