OBSERVER POUR COMPRENDRE LES SCIENCES DE LA VIE ET DE LA TERRE
Présentation par JACK GUICHARD (25/02/99)
(compte-rendu par V.Verdié)
JACK GUICHARD, maître de conférence à lIUFM de Paris, chercheur en didactique des sciences au Laboratoire Interuniversitaire de Recherche sur lEducation Scientifique et Technologique (LIREST) est biologiste de formation et a travaillé à la cité des enfants de la Villette.
En sciences, la démarche scientifique cest lexpérimentation (cf Charpak). En biologie, pour des raisons pratiques et éthiques, lexpérimentation nest pas toujours possible. Lobservation est essentielle. Pour un chercheur, il doit dabord se documenter sur les savoirs existants, puis
-parfois expérimenter (situation-problème, hypothèses, expérimentations, analyses), très souvent effectuer un transfert sur un modèle pour comprendre comment ça marche,
-observer pour découvrir le monde et se poser des questions pour savoir comment ça marche.
En collège, les enfants ne savent pas observer et disent ne pas savoir dessiner (donc trace écrite inexistante). Observer nest pas dessiner même si on se sert du dessin à certains moments. Il faut savoir pourquoi et comment on va observer et donner le goût des sciences aux élèves.
SAVOIR POURQUOI ON OBSERVE
Un exemple expérimenté avec des adultes et des élèves de cycle 3.
1- Parmi un tas de noisettes, en choisir une, lobserver et la dessiner (on ne sait pas pourquoi on dessine).
2- La noisette est remise dans le tas et on demande à chacun de retrouver sa noisette. Doù problème! il va falloir affiner le dessin.
3- Reprendre une noisette et la dessiner pour la retrouver. Il va y avoir introduction de détails significatifs.
4- La noisette est remise dans le tas. Chacun est prié de passer son dessin à un voisin. On demande de retrouver la noisette du voisin. On constate alors que chacun a ses propres conventions et que, pour se faire comprendre, il faut ajouter des légendes, des références de tailles,...
5- Un nouveau schéma légendé est nécessaire pour se faire comprendre des autres.
Le dessin dobservation est fait pour communiquer et il est donc nécessaire de savoir pourquoi on observe. Lobservation nest pas une finalité en soi. Elle a une finalité, cest un moyen et non un but. Doù la nécessité dune démarche qui exploite la curiosité naturelle des enfants et qui doit donner envie dobserver en créant des situations-problèmes. Il faut savoir pourquoi et comment observer.
Lobservation scientifique oblige à sélectionner parmi ses impressions sensorielles:
-Nos perceptions sont subjectives (cf illusions doptique: vieille et jeune femmes qui apparaissent simultanément selon notre regard)
-Lobservation est une activité intellectuelle qui ne doit pas être réduite à une activité sensorielle. Lobservation est une activité investigatrice. Il va falloir sélectionner des critères en fonction des questions que lon se pose.
Ex. 1 Photo dobjet: quest-ce que cest? (chrysalide de chenille)
-on sait que le présentateur est biologiste donc on va chercher dans ce domaine
-cest vert donc renvoie au monde végétal
-ça bouge donc renvoie au monde animal.
Il faut trouver le registre dans lequel on est, avec une argumentation en rapport, et le comprendre.
Ex. 2 Exposition, à la cité des sciences, dun phasme dans un aquarium, avec comme indication il y a un insecte et un schéma. Les visiteurs peuvent alors le repérer.
On ne peut observer que parce quon a des modèles dans la tête.
Lobservation se réfère toujours à des modèles
en relation avec des connaissances (ex.2)
en relation avec des préoccupations (ex.1)
en relation avec des théories (en sciences).
Lobservation nest féconde que pour un esprit préparé et un oeil entraîné.
Il va falloir armer les enfants de ces modèles pour les préparer à observer.
Ex. Feuille de chêne avec galle. On peut ne prendre que la galle: pourquoi ce trou? => il va falloir louvrir...
Ex. Le rhinocéros de Dürer du 16°siècle: les flèches rebondissent sur sa carapace, donc dessin avec cuirasse de chevalier car cest le modèle de référence de lépoque.
Ex. Galilée, La lunette va permettre des observations plus précises quant à la rotation de la terre autour du soleil. On va alors plus loin dans les connaissances scientifiques.
Exemples derreurs:
Lidée de cellule considérée comme un trou vide, qui a subsisté jusquau début de ce siècle.
Le spermatozoïde vu comme une petite graine, qui crée la théorie du bébé quon met dans le ventre de la femme.
Observer, cest établir des relations.
Ex. Décrire la cour de lécole
Chacun établit des relations en fonction de ses préoccupations, de ses activités, de son vécu (différentes pour directeur, enseignant, gardien,...)
Ex. Poils de pou
Pour comprendre il manque léchelle, la couleur,... Si on nous dit vision macroscopique, on change de registre.
Ex. Deux branches, une de lilas, une de marronnier. Lequel a poussé le plus vite?
Il faut fournir des outils de connaissance: un bourgeon donne un rameau et des feuilles => écailles à la base de lancien bourgeon => il faut chercher les écailles.
Il faut outiller lenfant pour quil puisse mettre en relation ses connaissances.
LOBSERVATION EST UNE DEMARCHE INTELLECTUELLE
-qui met en jeu des perceptions sensorielles en focalisant lattention
-qui fait se questionner et questionner les objets
-qui fait apparaître des relations
-par évocation mentale des souvenirs
-par comparaison avec ses connaissances antérieures
-en établissant des comparaisons avec un document, un autre objet à côté ou dans le temps (voir ex.1 et 2)
-qui organise des nouvelles découvertes avec les découvertes antérieures.
Ex.1 La jacinthe, trois dessins de bulbe dans la terre: 1-le jour de la plantation; 2-un mois plus tard; 3-après des vacances. La troisième phase va entraîner un retour sur le bulbe et un questionnement. On va alors regarder les embryons de feuilles sur le bulbe de départ, et non plus au début comme on aurait fait autrefois.
Ex.2 Photographie de bouton dor et modèle schématique de la fleur: observer la fleur et rechercher les éléments du modèle dans la fleur photographiée. Il y a alors mise en relation.
LOBSERVATION EST UNE ATTITUDE DINVESTIGATION SCIENTIFIQUE
-observer nest pas seulement décrire mais aussi se poser des questions
-problématiser, cest savoir se poser des questions, les exprimer, choisir celles qui sont opérationnelles
-dégager des observables et des critères (démarche de lordre de loutil mathématique: séparer, associer, choisir, mesurer)
-rechercher pour
comprendre
répondre à une question
résoudre un problème
établir une relation causale
-utiliser des moyens dinvestigation: loupes, outils de mesure,...
-interpréter des observations avec objectivité, esprit critique, absence de jugement de valeur (qui sont des qualités scientifiques à développer chez lenfant).
LA PLACE DE LA TERMINOLOGIE SCIENTIFIQUE
-On introduit le vocabulaire scientifique quand il est utile et nécessaire (et non pas en commençant par donner un schéma dont il faut apprendre le vocabulaire!)
-On doit faire ressentir le besoin de ce vocabulaire spécifique. Ce vocabulaire est un outil pour se comprendre et communiquer avec les autres et avec les livres. La terminologie doit être exacte dès la maternelle.
Lobservation scientifique nourrit limaginaire et limaginaire nourrit lobservation, avec la condition de bien faire distinguer les deux registres imaginaire et réel.
Lobservation du jeune enfant nest pas scientifique, elle est anarchique et fugace, elle nest pas objective ni investigatrice (elle ne conduit pas quelque chose), pas rationnelle ni analytique.
Tout est à construire.
Ex. des poussins: description dabord affective, puis couleur, à plus long terme les plumes puis la queue blanche,...
DES OUTILS POUR OBSERVER
-la loupe qui focalise lattention sur les choses.
-les élevages à développer: fourmis,...
-le microscope lumineux, qui grossit 30 fois. Quand on regarde, on a la référence au réel, quil est important daider à construire.
-la plaque de plexis glace, qui permet par exemple de voir comment lescargot se déplace.
LES DOCUMENTS POUR OBSERVER
-Des documents pour orienter lobservation, comme des questionnaires à construire à partir des représentations des élèves. (On peut se servir de la hulotte pour élaborer un questionnaire)
Ex. Les fourmis: on donne trois dessins de fourmis dont deux faux et lélève doit cocher celui qui est correct.
-Des documents pour préciser lobservation, comme des indices (avis de recherche) qui permettent de comprendre.
Ex. A la Villette, à côté dun aquarium il y a le dessin dun animal et une question qui oriente la recherche :cherche ce cuirassé avec sa bulle dair. Lenfant va être amené à se poser des questions sur la cuirasse et sur la bulle dair.
-Des documents pour nommer, comme des clés de détermination pour identifier des espèces.
-Des documents pour comprendre comme des schémas (passage du dessin réel à une abstraction), des modèles.
-Des documents pour situer dans le temps (sur le développement des plantes, des animaux,...)
Ex. Une série dimages de la fleur au fruit.
-Des documents vidéo (ou images, photographies de films), qui permettent de revisionner de courtes séquences, avec arrêt sur image pour faire des commentaires, avec utilisation de schémas sur transparents à poser sur lécran (ou sur une photo).
LES FORMES DU COMPTE-RENDU DE LOBSERVATION
expression mimée
orale
écrite
graphique
mathématique
par modélisation (maquette)
audio-visuelle
échantillons, collections, herbiers
LE COMPTE-RENDU ORAL (Français/sciences)
-Recueillir des informations dans le désordre à noter au fur et à mesure
-Les ordonner collectivement
-Imposer un langage rigoureux (Français)
-Exiger une terminologie précise (Sciences)
TRACES ECRITES DE LOBSERVATION
Pour comprendre, pour soi
-permettent de passer de la réalité observée à labstraction: schématiser, modéliser, élaborer une clé, classer (tableaux,...)
-permettent de garder une trace pour soi pour comparer, associer, confronter (comparer dautres stades, dautres observations,...)
-donnent un lien de recherche avec les modèles de référence: dans des documents, des livres, ses propres écrits (le cahier de sciences, dexpériences de Charpak)
Pour communiquer (avec lenseignant, ses camarades de classe, dautres classes,...)
Quoi? -Les conclusions de ses observations et les modalités de leur élaboration.
Il est nécessaire dattirer lattention des enfants sur la démarche si lon communique avec une autre classe et de noter ce que jai appris, ce que je sais faire.
Comment? -Sous différentes formes: textes écrits, dessins, tableaux, graphiques, photographies, vidéo, schémas, maquettes,...
Pourquoi? -par besoin de communiquer ses découvertes, par nécessité scientifique (vérification par dautres), pour une vérité scientifique du moment.
LE GRAPHIQUE
Représenter graphiquement lobservation
Ex. Photographies de jacinthe avec règles (bandes de papier) pour marquer la hauteur de la croissance avec la date,
puis représentation uniquement avec les bandes montrant la croissance (sans photo)
puis tableau date/taille.
Date Taille
septembre ------
octobre ---------
novembre ----------------------
janvier -------------------------
On passe de la schématisation mathématique à la classification scientifique
Les qualités du dessin
Le simple fait de dessiner met les élèves en situation de recherche. Le dessin focalise leur attention. Dessiner oblige à choisir ce qui est important par rapport à la question posée. Le dessin dobservation permet de diriger et danticiper la tâche. Un aller et retour entre objet observé et feuille de papier amène à affiner lobservation et la compréhension de détails. Cest un support déchange entre élèves pour améliorer la compréhension.
Lanalyse des dessins
Observation en classe puis choix de dessins à analyser.
Consignes:
Sont-ils complets? -répond à la question
-détails inutiles => quels sont les éléments utiles?
-que manque-t-il?
Le tracé permet-il une lecture lisible? traits flous, ombres qui masquent des détails importants,...
LEVALUATION
-Les qualités de lobservation -Le compte-rendu écrit
complète présentation claire
exacte titre
interprétée traits tracés correctement
légende écrite, taille réelle indiquée
compte-rendu de V. Verdié, CPC Marignane #