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LE MANUEL SCOLAIRE conférence de Monsieur Jean
HEBRARD, Inspecteur Général, historien et
philosophe.(16/12/98) (compte-rendu par V.Verdié)
A partir de la fin des années 1969, le rapport des écoles primaires aux
manuels scolaires se transforme: Un “bon enseignant” est quelqu’un qui fait tout
lui-même, sans se servir d’un manuel; alors que jusque là, le “bon enseignant”
était celui qui faisait le “bon choix” du manuel (exception faite des
enseignants Freinet)! Pourquoi ce changement? Il apparaît suite à la
naissance des conseillers pédagogiques recrutés pour former rapidement les
nombreux remplaçants engagés à cette époque pour faire face aux enfants du “baby
boom”. Une fois le flot d’enseignants formé, le rôle des équipes de
circonscription s’est modifié et les CPC ont eu en charge la formation continue.
La question s’est alors posée: “qu’est-ce que moi, CPC, je peux apprendre aux
enseignants, si ce n’est à critiquer les manuels et à faire des préparations qui
s’y substitueront???” Peu à peu les enseignants ont intégré l’idée que les
manuels scolaires n’étaient pas bons! Mais le problème est que l’on ne peut pas
faire des fiches de préparation tous les jours dans tous les domaines,
alors...on donne des photocopies! Progressivement, on voit l’enseignant
fabriquer ses préparations et ce qui lui sert de manuel scolaire en faisant du
“copier-coller” pour constituer un document qu’il s’est approprié. Cette
transformation des années 1970 ne se fait pas au nom de l’intérêt de l’enfant ou
des apprentissages mais au nom d’une idéologie partagée par toute l’institution:
“n’est bon que ce que je fais moi-même”.
D’où les effets
aujourd’hui: 1-les enfants ne savent plus se servir d’un manuel scolaire
(alors que les apprentissages se font en classe en CM2, ils sont mis en mémoire
par les travaux du soir en 6°, après que le cours a été présenté par
l’enseignant), d’où de nombreuses difficultés. 2-Par l’usage intensif des
photocopies, le travail sur l’écriture a diminué de façon considérable, et les
effets en 6° sont qu’un enfant sur deux n’est pas capable de copier au tableau
(vite, bien et sans fautes!), encore moins de prendre sous la dictée ou de
prendre des notes! 3-Sur les évaluations 6°, on constate une baisse des
résultats en mathématiques. Une des hypothèses est qu’on se sert essentiellement
de fichiers tous faits et qu’on a abandonné le manuel.
De nombreuses
questions se posent en rapport avec l’utilisation du manuel: -On a
aujourd’hui un problème de préparations. Comment peut-on espérer faire
travailler les équipes pédagogiques collectivement en équipes de cycles si en
même temps on continue de leur demander des fiches de préparations
individuelles? -La préparation n’est plus ce qu’elle devrait être. La
meilleure préparation est celle que l’on utilise, qu’on a emprunté à une revue,
à un collègue, à un serveur informatique,qu’on a construit, pensé, ordonné et
non fait à la “va-vite”. Ce qui devrait se faire, c’est un travail de
réflexion sur la préparation, l’assimilation à la classe; ce que j’ai choisi,
avec d’autres collègues du cycle, à réadapter chaque jour à la classe. L’idéal
serait, lors des réunions de cycles, de choisir, préparer, ordonner les
préparations du cycle, à laisser en salle des maîtres, pour que chacun complète
quand nécessaire (“ici, ça n’a pas marché, voilà ce que je suggère à la place”).
Le contenu pédagogique devrait être préparé en conseil de cycle.
-Les
nouveaux programmes sont inadaptables si on ne s’est pas partagé le travail de
cycle. Comment s’enchaînent les préparations sur trois ans? -comment
organiser la répétition? -comment éviter les répétitions
inutiles? -comment prendre en charge les enfants à leur niveau et non au
niveau moyen de l’ensemble des élèves?
Une réflexion sur l’utilisation de
la préparation s’impose, pour que le statut du manuel scolaire change et qu’on
apprenne aux enfants à s’approprier son usage.
LES MANUELS SCOLAIRES
AUX CYCLES 2 ET 3 : DISTINCTIONS! Au cycle 3 l’objectif
principal de fin de CM2 est que tous les élèves soient capables de se servir de
façon autonome d’un manuel scolaire: savoir chercher de l’information, faire
l’exercice en se référant,... D’où l’importance du bon choix des manuels et la
nécessité que les enfants s’en servent en permanence.
Au cycle
2 -un manuel est le livret de lecture qu’on suit à la lettre, mais ce
n’est pas sûr que la lecture au CP ait besoin de ce type de support. -le
fichier de mathématiques n’est pas le meilleur moyen de manipuler les nombres et
de faire des résolutions de problèmes. Le problème du manuel en cycle 2 se
pose donc dans d’autres termes et il faudrait réfléchir à son usage pour chaque
type de leçon. Un autre problème surgit en GS: l’apparition de manuels,
calqués sur ceux de CP! Est-ce qu’un manuel a sa place en GS??? Pour le cycle
2, il faut ouvrir le débat: l’enfant est en train d’y apprendre à traiter
l’information écrite. L’objectif est de traiter l’écrit. Utiliser un manuel
c’est supposer que c’est déjà fait. Se servir de l’écrit pour travailler est
impossible. Le manuel de cycle 2 doit en tenir compte, en n’étant pas un manuel
tout en en ayant la forme. ex. l’enfant ne peut pas se servir seul d’un
fichier de maths, il faut lire les consignes et lui donner une explication. Le
fichier est utilisé à contre-emploi (on n’écrit pas sur un manuel!) et il peut
provoquer une mauvaise interprétation de ce qu’est un manuel scolaire. Que
devrait-être un manuel scolaire en maths au cycle 2? -pas ce qu’il est
actuellement, peut-être n’en faut-il pas??? puisqu’on fait des activités de
manipulation, donc on n’écrit pas!
Le manuel de lecture: trois
problèmes à régler en cycle 2 1- on devrait faire un apprentissage de
l’écriture et non de la lecture. Apprendre à lire c’est apprendre à écrire et
non l’inverse.
2-”lire c’est comprendre”...c’est plus compliqué que
ça! comment s’apprend la compréhension? Aux évaluations CE2, ceux qui ne
comprennent pas ce qu’ils lisent ne comprennent pas mieux ce qu’on leur lit, ne
comprennent pas mieux l’oral. C’est à travers un travail de discussion avec les
élèves qu’on voit ce qu’ils comprennent ou non, et c’est là qu’on va réajuster.
Le manuel ne peut le programmer. Il faudrait que chaque enseignant commence
la classe le matin en lisant un texte intéressant, un peu long ( mais qui
finit!). L’enseignant demanderait alors aux élèves de raconter ce qu’ils ont
compris. C‘est le moyen de sentir la distance entre le texte et ce qui en a été
compris et retenu. On va alors chercher à réduire cette distance en discutant
oralement le texte et sa compréhension, en faisant reformuler et affiner. Le
manuel et le fichier de lecture avec questions sont inutiles, ils n’apprennent
rien sur la compréhension.
3-Il faut faire comprendre à l’enfant que
notre code de lecture fonctionne sur le principe alphabétique. Le codage se fait
au niveau du son mais quand on parle, on n’entend pas les sons qu’on dit, on
n’entend même pas les mots. Il va falloir découper les énoncés en mots, les mots
en syllabes puis en voyelles. Mais le “son des consonnes” n’existe pas! La vraie
difficulté pour l’enfant est de faire une analyse de ce qu’il dit pour le
décomposer en une unité où il va “accrocher” le code écrit. Le travail à l’oral
va faire prendre conscience que la parole est faite de mots, de syllabes, de
phonèmes avec l’appui et la puissance de l’écriture comme instrument pour
lire. Ici il n’y a pas utilité à avoir un manuel scolaire mais bien utilité
des préparations. Ce qui serait nécessaire, ce seraient des manuels pour exercer
sa compétence à lire: fiches techniques, histoire, géographie,... Un bon album,
un bon documentaire peuvent être de très bons livres de lecture de CP.
Le
même type de manuel n’est pas utilisable au cycle 2 et au cycle 3. Le manuel
doit être au service de l’enfant, il doit être traité par lui et l’enseignant ne
doit pas se substituer à l’enfant.
Au cycle 3, ce qui pourrait être un
bon manuel: -en histoire, un livre qui raconterait une série d’histoires:
récits et images (images pour éviter l’assimilation de la culture de l’enfant du
20° siècle à la réalité de l’époque donnée, pour créer la distance). Dans la
discussion, le maître devrait s’assurer que l’enfant se fait de bonnes
représentations. -en sciences, le livre pourrait intervenir après
manipulation, pour l’interprétation, pour que l’enfant trouve l’information
nécessaire à l’interprétation. Ce serait une sorte de petite encyclopédie, réel
instrument de travail, qui donnerait des informations qu’on puisse lire
sans le maître. Donc le maître fait la leçon, les enfants manipulent puis
cherchent dans le manuel pour interpréter. C’est l’enfant (qui ne sait pas)
qui devrait questionner le maître (qui sait) et non l’inverse. Le maître doit
enseigner comment poser la bonne question donc comment poser une bonne question
au manuel. Le maître passe son temps à vérifier avant même d’avoir instruit.
Dans les manuels actuels, beaucoup de questions sans réponses, or l’enfant
questionneur a droit à des réponses que le maître devrait produire à l’oral et
le manuel à l’écrit. Les fichiers devraient être des banques d’exercices, des
lieux d’entraînement, de fixation des habitudes (en aucun cas de découvertes!),
d’automatisation.
Trois aspects du travail qui situent le
manuel: 1- construire la notion: c’est le travail de l’enseignant,
indispensable. C’est toujours un dialogue. 2- rechercher des informations:
orales avec le maître qui répond à l’enfant; écrites avec le manuel scolaire
(voire le CDRom) à lire. L’information doit être accessible. 3-
“routinisation”, répétitions, exercices sous forme de banques de données, de
fichiers d’exercices, pour automatisation. Les différents types
d’instruments qui apportent l’information: -les sources d’informations
très spécialisées dans la vie de tous les jours: ex. horaires SNCF (3615 SNCF),
avec un mode d’accès très spécifique. La difficulté est de mémoriser ces
nombreux modes d’accès: repérer les cheminements qui conduisent à l’information
avec l’idée qu’il n’y a pas de cheminement uniforme. ex. chercher dans une
encyclopédie est très compliqué: entrée par l’alphabet, par la
thématique,... Les évaluations au CE2 montrent que l’accès à l’information
est problématique. Il faudrait redonner le manuel comme instrument d’accès à
l’information. Quel est le type d’informations données dans un
manuel? -L’information est donnée pour former (l’encyclopédie pour
informer) -L’information est présentée pour faciliter la mise en mémoire
(dans l’encyclopédie, elle est présentée pour constituer une prothèse qui se
substitue à la mémoire, elle évite la mise en mémoire, elle n’est pas faite pour
être retenue). Le manuel donne de l’information pour structurer la mémoire,
c’est un dispositif d’accès au savoir (système de formatage du disque
dur). En grammaire, l’enfant n’a pas besoin d’une encyclopédie grammaticale
mais d’un manuel, car il n’a pas encore stocké (ce que l’adulte a fait) les
informations de base.
Il est donc important de savoir chercher les
informations dans un manuel ET dans un dictionnaire ou une
encyclopédie.
REPONSES AUX QUESTIONS
-Le cahier
de règles de grammaire, construit avec les élèves au fur et à mesure renforce la
mémorisation mais n’est pas suffisant car il n’est pas bon comme source
d’informations. Quand une question de grammaire est soulevée tous les problèmes
se posent en même temps et alors le cahier n’est plus utilisable (une phrase
c’est un thème et un prédicat -GN+GV- c’est à dire c’est une chose et on dit
quelque chose sur cette chose, et on a toujours besoin de tout). Donc il faut
jouer sur les deux registres: le dispositif comme aide à la mémoire (l’enfant
écrit donc mémorise, reconstruit le manuel) et le manuel comme source
d’informations.
-Les cycles 2 et 3 devraient poser une question aux
collègues de 6°: Qu’est-ce que vous attendez de nous? La réponse fréquente est
que les enfants sachent copier sans fautes! La copie est l’exercice de base du
travail intellectuel. Quels points d’appui pour l’enseignant de 6°? -
simplifier pour aller vers l’essentiel, ce qui ne veut pas dire que le
“nourrissage” n’est pas capital et c’est là que se place le manuel
scolaire.
-Les questions de compréhension: l’écrit est très difficile à
traiter pour la compréhension. Un texte ne nous dit pas si on a compris. A
priori il y a cohérence du texte. S’il y a incohérence, on pense qu’on a mal lu.
L’écrit n’est pas un bon instrument d’apprentissage. L’homme a besoin de l’homme
pour apprendre! Que faisons-nous quand nous apprenons en
dialoguant? -est-ce qu’on a bien les mêmes codes, les mêmes mots? Parle-t-on
le même langage? On n’est jamais sûr que le même mot renvoie à la même
représentation. Donc il faut travailler sur la représentation, travailler sur
des expériences identiques. Si on travaille sur le code, il faut neutraliser
le problème de la compréhension. Si on travaille sur la compréhension, sur la
représentation, il faut neutraliser le problème du code. En maternelle, on
est sur le code: vivons une expérience et représentons là par le langage;
parlons la situation. En cycle 2, on s’appuie sur le langage pour parler
d’expériences qui n’existent que dans le langage. Le livre nous permet de
travailler sur l’expérience représentée. On revient au dialogue pour vérifier
qu’on parle bien de la même chose. On reformule de nombreuses fois de façons
différentes pour avoir la même représentation. Il faut rendre à l’enfant
l’autonomie des prises de parole: “je n’ai pas compris, explique-moi!” (enfant
questionneur). C’est là où l’on voit des différences entre milieu enseignement
et milieu familial: dans le premier, l’enseignant pose des questions; dans le
second, les parents répondent (ou ne répondent pas!) aux enfants. C’est
lorsqu’on répond que les enfants apprennent (rôle de
l’école!).
-Importance de la littérature qui parle de la vie des hommes
et de leurs problèmes. La littérature construit du savoir sur la vie des
hommes, d’où la nécessité d’en lire. Mais c’est souvent difficile pour les
enfants d’où la nécessité de se substituer à eux. Il faut que l’enseignant lise
aux enfants des textes qui posent des vrais problèmes, comme éléments de
dialogue. L’enseignant doit être un réservoir de culture pour les élèves (comme
la lecture du soir avec les parents). On travaille alors sur les problèmes des
enfants, leurs soucis, leurs peurs, leurs émotions à travers la littérature.
L’émotion reste un des vecteurs les plus importants de la connaissance (mais
attention elle peut embrigader comme libérer!). L’émotion est toujours
problématisante et pour en sortir le dialogue qui suit est nécessaire, pour
réévoquer puis réélaborer le récit, le film,...
-Deux nouveaux
catalogues avec 70 titres par cycle (2 et 3) de littérature jeunesse va être
édité par le ministère, pour le partage d’une culture commune qui prend appui
sur des objets dont on peut parler ensemble.
Si l’on veut que les enfants
soient des questionneurs du monde, il faut un “nourrissage” culturel permanent
offert par l’école (d’où la nécessité pour chaque enseignant de se cultiver
lui-même en permanence!)
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